Crevasse – Pierre Terzian – Quidam.

« Tu glisses.
Tu ne cries pas. Tu comprends que tu glisses. Il n’y a pas de bruit. La terre t’attend. »

Il y a forcément des attaques telles que celle-ci qui ne laissent pas indifférent. Pas moi.
Je suis particulièrement touchée par les romans écrits à la deuxième personne du singulier, lorsqu’ils sont bien faits. Peut-être n’est-ce que cela. Ou peut-être pas.
En cette rentrée littéraire de janvier, Quidam nous livre une petite pépite de premier roman. Que, personnellement, je ne suis pas prête d’oublier.

Crevasse. Un titre à la Mademoiselle le 6 aurait pu dire certains de mes amis, qui me connaissent bien, qui connaissent mes réflexes d’écriture. Mais Crevasse et un tube de rouge à lèvres, la couverture laisse pourtant toute l’énigme, le droit de s’interroger. Alors, j’entrouvre et je lis ces mots: « Tu glisses. »

Tout prend sens, de ce titre qui évoque le personnage principal, paumé, mis de côté, au ban, ailleurs, en parallèle. De sa fascination pour la montagne et de ce qu’elle va lui apporter, le jour où il tombera, plus bas que la vie même, sous les cailloux aiguisés d’un chemin qui n’était pas tracé pour rejoindre son quotidien. Qui le ramènera toujours au même endroit. Vers le vide. Le corps qui crie.
De ce symbole presque phallique imposé en couverture, Pigalle et la nuit.

150 pages. Qui disent tout, ou rien, d’une chute au lointain. Sans raison, sans précaution, un parcours seulement un peu de travers. 150 pages qui crient, suintent, hurlent, dégueulent, de ce monde en suspens qui s’agite juste sous notre nez. De ces êtres qui s’étouffent dans l’air ambiant. Qui vivent, pourtant. Qui vivent plus haut, plus fort, même.

L’écriture est dense et exigente. Inconditionnelle et intransigeante. Tordue, dissonante, à fleur de cri, à vif enfin la nuit, étouffante, dure, cassante. Voilà les mots qu’il m’en reste. Et si je n’ai qu’un seul reproche, il serait toujours le même qu’on se fait lorsqu’on tourne la dernière page d’une poésie à tripes apparentes: c’est trop court, jeune homme! Et pourtant, il y a tout.

« C’est sûrement la métaphysique qui creuse tes globes. Pétrifié devant la glace. Les limites de ton corps et les confins du cosmos. Peut-être que l’univers se déploie à partir de ton ventre. Que les étoiles gravitent autour de ton foie. Tu te bricoles une cosmogonie narcissique, enfin. Perdu devant l’immensité de ton bassin, tu te découvres noyau. »

Le corps s’est noyé dans ces mots. La rentrée littéraire de janvier s’annonce belle.

A propos Mademoiselle le 6

En manque de moi-même, j'attends qu'une ombre autre me définissent avec autant d'humour et de bienveillance que celui qui était l'auteur de la précédente description.
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